Loyauté contractuelle : un impératif dans les relations mandant-agent commercial

Publié le 27 juin 2025 à 09:31

Cour d'appel de Rennes 10 juin 2025, n° 24/00370

Faits

Par contrat en date du 19 novembre 2020, une agence immobilière confie à une mandataire indépendante, sous statut d’agent commercial, la gestion d’une agence secondaire, initialement aux côtés d’un salarié. Après le départ de ce dernier, la mandataire poursuit seule l’activité.

Le 4 février 2022, celle-ci adresse à son mandant une prise d’acte de la rupture du contrat, dénonçant plusieurs manquements graves. Estimant que ces comportements rendent impossible la poursuite de la relation contractuelle, elle saisit le tribunal de commerce pour obtenir une indemnité compensatrice de rupture ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral.

 

Procédure

  • 1ère instance (T. Com. Saint-Nazaire, 29 novembre 2023) : la mandataire est déboutée de ses demandes.

  • Appel : la mandataire interjette appel. Le mandant, de son côté, forme des demandes reconventionnelles, réclamant notamment des dommages-intérêts pour absence de préavis.

Problème juridique

Un agent commercial peut-il obtenir une indemnité compensatrice de rupture lorsqu’il prend lui-même l’initiative de la cessation du contrat, en invoquant des fautes imputables au mandant ?

 

Solution

La Cour d’appel de Rennes infirme partiellement le jugement de première instance :

  • Elle rappelle qu’en vertu des articles L.134-12 et L.134-13, 2° du Code de commerce, l’agent commercial a droit à une indemnité sauf si la rupture est de son fait et non justifiée par des fautes du mandant.

  • Lorsque l’initiative de la rupture vient de l’agent, celui-ci doit prouver l’existence de manquements graves du mandant pour conserver son droit à indemnisation.

Or, en l’espèce, la preuve est rapportée par deux faits majeurs :

  1. Concurrence déloyale directe : le mandant a distribué des flyers recouvrant ceux de l’agent, dans la même résidence, le lendemain d’une prospection. Ce comportement est qualifié de parasitage manifeste.

  2. Stratagème d’achat dissimulé : le mandant a tenté d’acquérir un bien confié en mandat à l’agent en signant une offre sous un nom différent, ce qui a entraîné le retrait de la venderesse, invoquant un défaut de transparence. La cour y voit une atteinte grave à la loyauté contractuelle (violation de l’article 1596 du Code civil sur l’interdiction d’acheter par intermédiaire).

La prise d’acte est donc requalifiée en rupture aux torts du mandant, ouvrant droit à indemnité.

La cour accorde à l’agent l’indemnité compensatrice de rupture, mais rejette la demande de préjudice moral, faute d’éléments probants.

 

Enseignements pour les professionnels de l’immobilier

🔹 Pour les agents commerciaux

  • La prise d’acte peut être une arme juridique efficace à condition d’être bien documentée : il faut réunir des preuves solides, datées, précises, et crédibles.

  • Même en l’absence de lien salarial, un agent commercial peut bénéficier d’une protection juridique contre les manquements graves du mandant.

🔹 Pour les mandants et agences

  • L’indépendance contractuelle ne dispense en aucun cas du respect du devoir de loyauté.

  • Les actes de concurrence interne, de détournement de mandat ou de double jeu dans une vente peuvent engager la responsabilité contractuelle du mandant, même s’il est juridiquement le donneur d’ordre.

  • Une mauvaise gestion de la relation avec un agent commercial peut coûter cher, notamment en cas de contentieux : indemnités, image, tensions dans le réseau.

🔹 En synthèse

Ce contentieux rappelle une vérité simple mais souvent négligée : dans un contrat d’agent commercial, la loyauté n’est pas une option. C’est la condition de survie du lien – et de sa fin maîtrisée.

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