
Cass. 2e civ., 30 avr. 2025, n° 22-13.163, n° 407 F-D
Faits
Une SCI confie un mandat exclusif de vente à un agent immobilier. Moins de trois semaines après la résiliation de ce mandat, elle vend directement le bien à une société tierce. Un mois plus tard, l’acquéreur initial revend l’immeuble à une entreprise associée.
L’agent immobilier, placé entre-temps en liquidation judiciaire, voit son mandataire liquidateur agir en justice pour obtenir le paiement de la commission prévue au mandat, en invoquant des manœuvres frauduleuses destinées à l’évincer de la vente.
Procédure
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Première décision cassée :
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Cass. 1re civ., 7 oct. 2020, n° 18-12.205 : la Cour de cassation casse un premier arrêt d’appel qui avait rejeté la demande du liquidateur.
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L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Nancy (CA Nancy, ch. com., 8 déc. 2021, n° 20/02467).
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Devant la cour de renvoi :
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Le liquidateur modifie sa demande, sollicitant non plus la commission, mais des dommages et intérêts pour les manœuvres frauduleuses du mandant.
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La cour déclare cette demande irrecevable, la considérant comme nouvelle en appel au regard de l’article 565 du Code de procédure civile.
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Pourvoi en cassation :
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La 2e chambre civile casse l’arrêt d’appel dans sa décision du 30 avril 2025 (n° 22-13.163), estimant que la demande indemnitaire tend aux mêmes fins que la demande initiale.
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Problématique juridique
Deux questions principales étaient soulevées :
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Un agent immobilier évincé par manœuvres frauduleuses peut-il obtenir le paiement de sa commission ?
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Une demande d’indemnisation pour fraude peut-elle être formulée pour la première fois en appel, en lieu et place d’une demande initiale en paiement de la commission ?
Réponse de la Cour de cassation
1. Sur le droit à commission en cas de manœuvres frauduleuses
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La Cour confirme que les manœuvres frauduleuses de la SCI avaient pour objectif d’écarter l’intermédiaire pour éviter de lui verser sa rémunération.
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Toutefois, l’article 6 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, et l’article 73 du décret du 20 juillet 1972, imposent que la commission ne soit due que si la vente a été effectivement conclue grâce à l’entremise de l’agent, et que celui-ci ait respecté les conditions de forme.
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En l’absence de ces conditions, même en cas de dol du mandant, le juge ne peut accorder la commission, mais seulement des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi.
Jurisprudence constante :
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Cass. 3e civ., 8 juin 2010, n° 09-14.949
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Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-15.620
2. Sur la recevabilité de la demande en appel
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En vertu de l’article 565 du Code de procédure civile, une prétention n’est pas nouvelle si elle tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, même si elle repose sur un fondement juridique différent.
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En l'espèce, la demande initiale visait la réparation d’un préjudice lié à la vente intervenue sans l’intermédiaire de l’agent. La demande de dommages et intérêts formée en appel visait le même objectif : réparer le même préjudice.
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La Cour casse donc l’arrêt d’appel pour violation de l’article 565, et renvoie l’affaire devant une nouvelle cour d’appel.
Enseignements pour les agents immobiliers
✅ 1. Le dol du mandant ouvre droit à indemnisation, pas au paiement de la commission
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Même si l’agent a réalisé un travail de prospection sérieux et que son éviction résulte d’un stratagème frauduleux du mandant, le paiement de la commission n’est pas automatique.
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Il peut cependant obtenir des dommages et intérêts s’il prouve que la vente est intervenue grâce à son intervention ou son travail préparatoire.
✅ 2. En cas de contentieux, variez vos fondements en appel
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Cette décision illustre l’importance de bien qualifier les demandes dès le départ.
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Mais elle rassure aussi les professionnels : même si la qualification juridique change en appel (commission vs indemnisation), l’objet visé étant identique, la demande n’est pas irrecevable.
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Les avocats ou mandataires liquidateurs doivent donc veiller à articuler clairement le lien entre la demande initiale et celle formée en appel, surtout lorsqu’il s’agit de réparer un même préjudice sous une autre forme.
✅ 3. La clause d’exclusivité n’est pas une garantie absolue de rémunération
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Si elle est violée par le mandant, l’agent immobilier ne peut réclamer sa commission que s’il respecte strictement les obligations formelles issues de la loi Hoguet.
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À défaut, seule une action en responsabilité contractuelle est envisageable.
🧾 Références :
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Cass. 2e civ., 30 avr. 2025, n° 22-13.163
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Cass. 1re civ., 7 oct. 2020, n° 18-12.205
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CA Nancy, 8 déc. 2021, n° 20/02467
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Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, art. 6
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Décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, art. 73
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Code de procédure civile, art. 565
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