La renonciation au droit au bail par le conjoint survivant

Il s'agit d'un arrêt de la Cour de cassation du  4 juillet 2024, 22-24.856

 

1 - Rappel du principe tiré de l'arrêt :

Lors du décès d'un locataire, le droit au bail peut être transféré à ses descendants vivant avec lui depuis au moins un an. Cependant, le conjoint survivant qui était cotitulaire du bail dispose d'un droit exclusif sur celui-ci, à moins qu'il y renonce expressément.

2 - Les faits :

Une société d'habitation à loyer modéré avait conclu en 2001 un bail avec Monsieur X et son épouse Madame Y. Après le décès de cette dernière en 2016, Monsieur X a signé un avenant le désignant comme seul titulaire du bail. Toutefois, des loyers étant restés impayés, la société a demandé l'expulsion de Monsieur X et le paiement des arriérés locatifs. Les enfants du couple, Monsieur A et Madame B, sont intervenus dans la procédure, demandant le transfert du bail au bénéfice de Monsieur A, qui cohabitait avec sa mère depuis plus d'un an avant son décès.

3 - La question principale posée aux juges :

Le bail pouvait-il être transféré à l'enfant du couple malgré l'avenant désignant Monsieur X comme seul titulaire, et ce dernier pouvait-il être condamné au paiement des loyers impayés alors qu'il n'avait pas expressément renoncé à son droit exclusif sur le bail après le décès de son épouse ?

4 - Les arguments des parties :

  • La société bailleresse soutenait que Monsieur X, en tant que seul titulaire du bail après la signature de l'avenant, était responsable des loyers impayés et que le bail ne pouvait être transféré à son fils en l'absence de renonciation expresse de sa part.

  • Monsieur X et ses enfants faisaient valoir que Monsieur A, ayant vécu avec sa mère jusqu'à son décès, devait bénéficier du transfert du bail conformément à l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989.

5 - La solution des juges :

La Cour d’appel de Paris juge que l’époux survivant, ayant quitté le logement depuis plusieurs années avant le décès de sa conjointe et ayant averti le bailleur qu’il ne souhaitait plus figurer sur le bail, doit être exempté du paiement de la dette locative.

La Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel, estimant que Monsieur X, en tant que cotitulaire du bail, n'avait pas renoncé expressément à son droit exclusif sur le bail après le décès de son épouse. La Cour a donc jugé que la cour d'appel avait violé les dispositions légales en permettant le transfert du bail à Monsieur A sans cette renonciation.

L'époux survivant reste  cotitulaire du contrat de bail en vertu des dispositions de l’article 1751 du code civil : En cas de décès d'un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d'un droit exclusif sur celui-ci sauf s'il y renonce expressément. »

 

6 - Le montant de la condamnation :

La Cour de cassation a condamné solidairement Madame B et Messieurs A et X aux dépens et au paiement de 3 000 euros à la société bailleresse en application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

7 - Quelles leçons pour les administrateurs de biens ? 

L'arrêt du 4 juillet 2024 de la Cour de cassation offre plusieurs enseignements importants pour les administrateurs de biens, en particulier en matière de gestion des baux en cas de décès du locataire. Voici les principales leçons à retenir :

1. Vigilance sur les droits successoraux des locataires :

Les administrateurs de biens doivent être attentifs aux règles concernant le transfert des droits au bail en cas de décès du locataire. Selon l'article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, le contrat de location peut être transféré à certaines personnes, comme les descendants vivant avec le locataire depuis au moins un an. Cependant, il est crucial de vérifier si le conjoint survivant a renoncé expressément à son droit exclusif au bail avant de procéder à tout transfert ou expulsion.

2. Gestion des avenants au bail :

Lorsqu'un avenant est signé pour modifier les titulaires du bail, comme dans le cas où un locataire devient seul titulaire après le décès de son conjoint, il est essentiel de s'assurer que toutes les formalités sont correctement remplies et que les conséquences juridiques sont bien comprises. Un avenant ne peut pas toujours substituer les droits successoraux ou changer les règles de transfert de bail prévues par la loi.

3. Respect des formalités de résiliation :

En cas de désir de mettre fin à un bail ou de modifier son titulaire, il est important de suivre scrupuleusement les procédures prévues. Le simple fait de ne pas occuper le logement ou de déclarer un désintérêt n'est pas suffisant pour mettre fin au bail sans respecter les conditions légales et contractuelles.

4. Consignation des demandes de paiement :

Lorsque des loyers restent impayés, il est crucial de s'assurer que toutes les étapes préalables à l'expulsion et à la demande de paiement sont correctement effectuées, notamment la signification des commandements de payer et la vérification des droits des personnes présentes dans les lieux. Les décisions doivent être fondées sur des preuves et des renoncements explicites, si nécessaire.

5. Communication claire avec les parties :

Les administrateurs de biens doivent maintenir une communication claire avec les héritiers, les conjoints survivants, et les autres parties concernées pour éviter des conflits et des malentendus. En cas de doute sur les droits des parties, il peut être utile de consulter un avocat spécialisé pour éviter des erreurs de gestion.

6. Mise en œuvre des décisions judiciaires :

Lorsque la Cour de cassation rend un arrêt, il est crucial pour les administrateurs de biens de suivre les nouvelles directives et décisions de manière rigoureuse. Les erreurs dans la mise en œuvre des décisions judiciaires peuvent entraîner des litiges et des condamnations financières.

7. Formation continue :

Les administrateurs de biens doivent se tenir informés des évolutions législatives et jurisprudentielles en matière de gestion des baux et de droit locatif. Des formations continues peuvent les aider à comprendre et appliquer correctement les règles en vigueur.

En résumé, l'arrêt souligne l'importance de respecter les droits successoraux en matière de transfert de bail, de suivre les procédures de résiliation et de paiement avec précision, et de maintenir une communication efficace avec toutes les parties impliquées.

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