
Référence
Cour d’appel de Rennes, 10 juin 2025 – RG n° 24/00321
🔍 Principe rappelé
L’agent commercial, bien qu’indépendant, bénéficie d’une protection juridique forte en matière de rupture de contrat. En vertu des articles L. 134-12 et L. 134-13 2° du Code de commerce, il peut prétendre à une indemnité compensatrice même lorsqu’il est à l’initiative de la rupture, dès lors que celle-ci est justifiée par des manquements graves imputables au mandant. La preuve peut être rapportée par tous moyens.
🧾 Les faits
Par contrat du 19 novembre 2020, une agence immobilière confie à une mandataire indépendante la gestion d’une agence secondaire, en binôme avec un salarié. Après le départ de ce dernier, la mandataire reste seule à la manœuvre.
Le 4 février 2022, elle adresse une prise d’acte de la rupture, dénonçant des agissements fautifs de la société mandante.
Le 8 septembre 2022, elle assigne l’agence devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire, réclamant une indemnité de rupture (13 866,66 €) et des dommages-intérêts pour préjudice moral. Elle est déboutée en première instance par jugement du 29 novembre 2023.
⚖️ La procédure
En appel, la mandataire conteste le jugement. La société mandante, de son côté, forme des demandes reconventionnelles, reprochant notamment une absence de préavis et sollicitant des dommages-intérêts.
❓ La question juridique
La prise d’acte de la rupture par l’agent commercial est-elle justifiée par des fautes suffisamment graves du mandant pour produire les effets d’une rupture aux torts de ce dernier ?
✅ La solution de la cour
La Cour d’appel de Rennes infirme partiellement le jugement. Elle retient deux manquements graves du mandant :
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Une concurrence déloyale caractérisée
Par une attestation circonstanciée, la cour constate que la dirigeante de l’agence avait recouvert les flyers de l’agent dans une résidence où celle-ci avait prospecté la veille. Un acte manifeste de parasitisme interne. -
Un achat déguisé sous un nom d’emprunt
Le mandant a tenté de conclure, pour son propre compte, une vente sur un bien pour lequel l’agent détenait un mandat, en signant une offre sous son nom de femme mariée, conduisant à la rétractation de la venderesse. La cour y voit une violation de l’article 1596 du Code civil (prohibant l’achat d’un bien par le mandataire pour son propre compte) et un manquement flagrant à la loyauté contractuelle.
🔎 Ces deux faits suffisent à justifier la prise d’acte de la rupture avec les effets d’un licenciement fautif du mandant.
La cour accorde donc à l’agent l’indemnité de rupture, mais rejette la demande de préjudice moral, faute d’éléments probants. Elle écarte également toutes les demandes reconventionnelles du mandant.
📌 Les enseignements de l’arrêt
➤ Pour les agents commerciaux
La prise d’acte est un levier juridique puissant, à condition de documenter rigoureusement les griefs (dates, preuves matérielles, témoins). Il ne suffit pas d’alléguer, il faut démontrer.
➤ Pour les mandants (agences immobilières ou réseaux)
La relation contractuelle ne peut être instrumentalisée au détriment de l’agent.
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Substituer son action à celle de l’agent = concurrence déloyale
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Intervenir dans une vente avec des moyens opaques = manquement grave à la loyauté
➤ Sur le devoir de loyauté
Même dans un cadre non salarié, la fidélité contractuelle reste une exigence. L’article L. 134-12 protège l’agent contre les pratiques abusives, même s’il n’a pas le statut de salarié.
⚖️ À retenir
L’indépendance ne dispense pas de loyauté.
Dans la relation mandant/agent, toute manœuvre équivoque, même isolée, peut coûter cher. La jurisprudence veille à ce que la confiance ne soit pas un slogan, mais une réalité juridique.
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